1 janv. 2010

Réflexions d'Yves Michaud sur l'art, le luxe ... et l'expérience !

(...) Des enquêtes récentes sur les produits que les personnes de revenus supérieurs associent avec le luxe aux USA, en France et au Japon témoignent d’un changement significatif de la perception du luxe, et qui s’accorde avec ceux à l’œuvre dans les arts visuels.

Certes les Français comme les Américains associent encore l’idée du luxe à des objets comme les voitures, les bijoux, les œuvres d’art, les vêtements, les montres, mais ils associent aussi le luxe avec avions privés, yachts, hôtels, villas, voyages, parfums, clubs réservés, toutes choses qui renvoient à des expériences comme celles du voyage, du tourisme, de l’évasion rapide et rare. Le luxe, c’est en ce sens l’expérience de la vie légère et rêvée, une qualité d’expérience rare réservée à des happy few, en échappant aux objets banals produits en masse pour les masses. La plupart des industriels du luxe confirment cette évolution: face à l’industrialisation de produits qui sont au bout du compte très proches, qui sont de toute manière banalisés et n’ont plus de luxe que la marque, il leur faut désormais soit vendre ces produits comme des expériences particulières soit vendre des expériences luxueuses tout court.

La publicité du marketing expérientiel vend non pas des parfums pour parfumer mais des expériences de parfums Dior ou Saint-Laurent ou Prada.

On n’a pas été assez attentif à certains comportements en apparence seulement bizarres ou excentriques qui font entrer dans le monde de l'expérience tout court -mais une expérience rare considérée comme nouveau luxe, par exemple les premiers balbutiements du tourisme spatial. Seules quelques personnes peuvent s’offrir (et songent pour le moment à s’offrir) ces voyages en orbite qui coûtent des dizaines de millions de dollars. Le luxe ici, c’est celui d’une expérience réservée à quelques-uns seulement, comme dans le temps on s’achetait un "baptême de l’air" en avion ou en hélicoptère, voire, il n'y a pas si longtemps, une escapade en Concorde menant de Paris à Paris via le survol aussi rapide qu’absurde de la côte atlantique de la France.

La fascination pour les privilèges, pour les "listes", pour les carrés réservés, les clubs exclusifs, pour les traitements différenciés des consommateurs selon leur pouvoir d’achat relèvent aussi de ce transfert de la qualité de luxe sur des expériences rares et réservées –qui en leur fond peuvent être aussi inintéressantes que l’expérience ordinaire ouverte à tous mais dont la condition de rareté exclusive fait toute la précieuse différence.

Toujours selon ces enquêtes, les Japonais demeurent, en revanche, étonnamment traditionalistes puisqu’ils continuent d’associer prioritairement le luxe aux montres, aux sacs à main, aux automobiles, aux bijoux, aux habits et aux chaussures. Il faudrait cependant prendre en compte qu’ils ont une conception de l’art et des expériences esthétiques fortement différente des nôtres, faisant depuis bien longtemps place à des qualités sensibles qui ne sont pas des qualités d’objets mais d’expériences et d’environnements (le vieux, le fragile, la beauté de l’âme intérieure ou celle de la nature en train de changer).

Au fond, de même que l’art est devenu gazeux, le luxe aussi se transforme ou, mieux, se vaporise en expériences. Le parfum, si central dans l’esthétique de Baudelaire, mérite de retrouver aujourd’hui la place pivot qu’il devrait tenir dans toute conception de l’expérience esthétique en général.

Même si la formule est à l’emporte-pièce, on peut dire: «Finis les objets, bienvenue aux expériences!».

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